La brise matinale

août 9, 2013

Par John Henry Jowett

Le roman historique de Walter Pater, “Marius l’Épicurien”[1], contient une remarquable description de l’impression produite sur Marius par sa première rencontre avec un chrétien. Le chrétien en question était Cornélius, un jeune noble, officier de la Douzième Légion. « À côté du caractère sévère de Cornelius, on ressentait chez lui (en même temps) une brise d’espoir – une fraîcheur et un espoir – comme s’il était enveloppé d’une brise matinale. » Cette phrase délicate, « une brise matinale », m’est venue à l’esprit lorsque je lisais l’épître de Paul à Timothée, et le récit que le grand apôtre donne du ministère d’assistance de son ami Onésiphore. L’apôtre dit : « Il m’a souvent réconforté »[2] , et cela évoque un courant d’air frais, une fraîcheur apaisante après une grande chaleur. Cet obscur disciple était comme Cornélius qui encourageait Marius, et il procura un souffle d’énergie spirituelle au grand apôtre des gentils. Son ministère était celui de la brise du matin.

C’est tout à fait significatif que l’apôtre Paul ait eu besoin d’être rafraîchi dans son âme. Il connaissait des moments de découragement lorsque son esprit était envahi par la détresse. Qu’est-ce qui pouvait bien retenir son âme dans la prison de l’abattement ? Il n’y a pas de pire dépression que celle qui guette les natures intenses. Les caractères passionnés sont familiers des moments de désespoir que les esprits tempérés ignorent. Et Paul, avec son enthousiasme ardent, connaissait aussi des moments de profond découragement. Pour commencer, il était en butte à la méfiance continuelle des juifs ultra-conservateurs : ils avaient des doutes sur l’authenticité de sa vocation d’apôtre, et des doutes sur l’orthodoxie de son message. Tout au long de sa vie, cette méfiance continuelle et malveillante est restée suspendue au-dessus de son âme comme une épée de Damoclès. De tous les coups durs qui peuvent frapper un messager du Christ, il n’est rien de plus fatigant et de plus épuisant qu’un esprit de méfiance. C’est étouffant. C’est démoralisant. C’est paralysant.

Et deuxièmement, la corruption commençait à se déclarer dans les jeunes églises qu’il avait récemment plantées. Pour un homme animé par de nobles idéaux, ces dures réalités ne pouvaient manquer de provoquer une sérieuse dépression. Il y a quelque temps, je me trouvais en compagnie d’un jardinier qui me faisait faire le tour de ses parterres de fleurs ; il m’a montré une petite parcelle où chaque fleur était touchée par la rouille et il m’a dit : « C’est démoralisant. » Et lorsque l’apôtre Paul a vu que les jolies fleurs de son jardin à Corinthe étaient abîmées moralement, ça l’a beaucoup démoralisé et déprimé.

Et troisièmement, il était confronté à la lenteur de ses propres progrès dans le monde de l’esprit. « Le prix de l’appel céleste » semblait très loin, et comme d’autres disciples plus méconnus que lui, il devait avoir l’impression que la course venait à peine de commencer. Au chapitre sept de l’épître aux Romains, nous avons un aperçu de Paul lorsqu’il était découragé et qu’il avait besoin de puiser dans ses réserves pour continuer à avancer. Pour ces raisons, parmi d’autres, il lui arrivait d’être déprimé lorsque son âme découragée avait besoin de réconfort.

Et dans ces moments de défaillance, Dieu lui a envoyé un messager porteur de la brise du matin. Onésiphore apportait une bouffée d’air frais à celui qui défaillait. C’est merveilleux qu’un obscur disciple ait pu ainsi rafraîchir l’âme d’un grand apôtre. Le ventilateur d’une pièce est un objet on ne peut plus ordinaire, inesthétique comparé à d’autres articles domestiques beaucoup plus luxueux, mais c’est un instrument de rafraichissement, grâce auquel l’air circule librement, et qui rend la vie plus agréable et plaisante. Ainsi, les gens humbles peuvent être des instruments de renaissance céleste pour des grands personnages qui connaissent une défaillance ou un moment de faiblesse. Tous les pasteurs connaissent de tels individus dans leur congrégation. Ils ne sont pas dotés d’attraits spectaculaires. Ils ne sont ni riches ni cultivés, mais ils créent une atmosphère. Ils aident les autres personnes à respirer plus librement.

Je me demande quelles fenêtres Onésiphore a ouvertes pour laisser entrer la brise matinale qui a rafraîchi l’esprit abattu de l’apôtre ?  Peut-être lui a-t-il remis en mémoire une promesse oubliée, une parole bourrée d’énergie céleste que le grand apôtre avait oubliée. Au moment de mourir, l’évêque Butler a eu un instant de découragement, et un obscur aumônier, qui se trouvait dans la chambre à ce moment-là et dont l’histoire n’a pas retenu le nom, lui a rappelé une promesse du Maître qui a rafraîchi et réconforté l’esprit de l’évêque. Ou bien, il se peut qu’Onésiphore ait mentionné à l’apôtre un exploit de son ministère dont il n’avait pas eu connaissance jusque-là : « Tu ne devineras jamais ce qui s’est passé à Éphèse après ton départ. Il faut que je te dise ce qui est arrivé à untel après qu’il a entendu ton message sur l’amour de Dieu. » Paul aurait écouté avec beaucoup d’attention jusqu’à ce que le découragement laisse la place à l’espoir et la sérénité. Ou bien Onésiphore aura retracé les épisodes marquants de la vie de l’apôtre et lui aura rappelé les moments de bonheur oubliés qui étaient comme des fleurs égayant la route de la vie ; ou Il lui aura rappelé des difficultés passées qui ont été surmontées par la grâce divine, ou d’autres épisodes de dépression qui ont porté du fruit parce que, dans sa solitude, le désert s’est avéré être un jardin de Dieu. Ou encore, Onésiphore aura été puiser dans ses propres souvenirs pour donner des témoignages du triomphe de l’Amour Éternel. Il aura raconté sur un ton mal assuré son propre témoignage, et son histoire aura eu l’effet d’une brise du matin sur son ami qui était malade et abattu.

Il se trouve que ce type de service est un des plus nécessaires dans l’église du Christ. Il nous faut des gens qui sont porteurs de cette atmosphère et qui savent réconforter et encourager les autres. Et ces personnes-là vont instinctivement là où on a le plus besoin de leur ministère. Un magnifique trait du caractère d’Onésiphore nous est révélé dans cette phrase de l’apôtre : « Il n’a pas eu honte de mes chaînes. »[3] Le grand érudit converti, le saint apôtre, était retenu en servitude, mais nous savons ce qu’il en pensait. Il disait : « C’est pour le Christ que je suis dans les chaînes. »[4] Il associait sa servitude au Seigneur. Il contemplait ses restrictions, ses limites, ses entraves, et les évaluait en les associant au Christ. Mais les chaînes d’un homme ont souvent pour effet de réduire le cercle de ses amis. La chaîne de la pauvreté pousse les gens à se tenir l’écart, tout comme la chaîne de l’impopularité. Lorsqu’un homme a bonne réputation, il a de nombreux amis. Lorsqu’il commence à porter une chaîne, les amis ont tendance à se faire rares. Mais les ministres de la brise matinale aiment venir aux heures sombres de la nuit. Ils aiment prodiguer leur réconfort à l’heure de l’abattement, lorsque les chaînes pèsent de tout leur poids sur l’âme. « Il n’a pas eu honte de mes chaînes. » Ses chaînes avaient de l’attrait pour lui,  elles lui donnaient de la vitesse et de l’urgence dans son ministère.

Et n’est-ce pas là la marque de l’amitié du Seigneur Jésus-Christ? Il n’a pas honte de nos chaînes. Lorsqu’Il était parmi nous en chair et en os, Il a étonné les gens en se montrant en compagnie de victimes des chaînes. « Voilà qu’Il s’en va loger chez ce pécheur ! »[5] Il n’avait pas honte de sa chaîne. « Comment … peut-Il manger avec ces collecteurs d’impôts et ces pécheurs ? »[6] Leurs chaînes ne Le dégoûtaient pas. « Dans notre humiliation, Il se souvint de nous. »[7] Il apporte la restauration à ceux qui languissent en prison. « Il est le Seigneur du matin pour les enfants de la nuit. » 

Extrait de  Things That Matter Most (Les choses qui comptent le plus), publié en 1913, par John Henry Jowett (1864–1923), Pasteur anglais. Domaine public.

Publié sur le Site Anchor le 26 juillet 2013. Traduit de l’original anglais « Morning Breeze » par Bruno et Françoise Corticelli

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[1] Un roman philosophico-historique de Walter Pater, publié en 1885 et dont l’action se déroule en 161–177 avant J.-C. dans la Rome Antique des Antonins. Elle relate le cheminement intellectuel du protagoniste, un jeune Romain d’une grande intégrité, dans sa quête de vérité religieuse ou philosophique, à une époque de grands changements et d’incertitude. La narration se fait à la troisième personne, influencée par le point de vue de Marius, auquel vient s’ajouter l’insertion de divers discours, allant d’adaptations de textes chrétiens primitifs et classiques au journal de Marius et de commentaires de l’auteur. (Extrait de http://en.wikipedia.org/wiki/Marius_the_Epicurean.)

[2] 2 Timothée 1:16.

[3] 2 Timothée 1:16.

[4] Philippiens 1:13

[5] Luc 19:7.

[6] Marc 2:16.

[7] Psaume 136:23.

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